La peinture du XIXe siècle est celle de la découverte et de la représentation du paysage. Du romantisme à l’impressionnisme, une force irrésistible va balayer les habitudes, sortir l’artiste de son atelier et le pousser à planter son chevalet au milieu de la nature, pour y peindre la vie des gens.
Dans ce mouvement général, l’Ecole de Barbizon occupe une place importante, imposant son art de la peinture en plein air. Henri Zuber sera marqué par cette évolution, mais il n’ira pas jusqu’à accompagner les précurseurs de son temps.
Lorsqu’il débute sa carrière, en 1871, les peintres de Barbizon connaissent leurs dernières années.
Alors que l’impressionnisme fait ses premiers pas dans l’incompréhension du public et les sarcasmes des critiques, Henri Zuber continuera son chemin avec les héritiers de Corot, Daubigny, Rousseau… A l’instar de ceux-ci, il connaîtra tout au long de sa vie un succès qui ne se démentira pas.
Mais sa renommée, comme celle des autres continuateurs de l’Ecole de la Nature, sera occultée par la floraison d’expressions nouvelles et de recherches picturales qui aboutiront à la révolution du cubisme, apparue à la veille de sa mort.
VERS UNE NOUVELLE VISION DE LA PEINTURE
Dans l’histoire de l’Art français, le XIXe siècle offre probablement la plus grande diversité d’expressions, née essentiellement des mutations socioculturelles issues de la révolution industrielle et du progrès scientifique qui incitent les artistes à transformer leur vision et leurs idéaux esthétiques.
En rupture avec les élans romantiques, le Réalisme est issu de réflexions sur les nouvelles théories de la connaissance et des considérations éthiques, sociales et politiques. Il amène certains artistes à se tourner vers la nature qu’ils reproduisent fidèlement, revendiquant un soucis d’objectivité.
Les Impressionnistes restent fidèles à l’observation directe de la nature et au travail en plein air, chers aux artistes de Barbizon (cf. le N° 2 de « La lettre, Henri Zuber et son temps »). Mais ils focalisent leur talent sur le rendu de la lumière, dont les variations incessantes modifient la structure du sujet. S’appuyant sur les théories de Chevreul à propos du chromatisme et découvrant qu’une couleur simple est plus intense que la teinte composée, ils utilisent le principe de la division de la couleur. Excluant le noir, ils juxtaposent sur la toile des petites touches de couleur pure vibrantes de lumière, dont le mélange s’opérera de lui-même sur la rétine de l’œil de l’observateur. Ils privilégient l’instant, la spontanéité et ils illustrent la joie de vivre de leur temps, en prenant pour sujet les bals publics, les baignades et les courses de chevaux. Ils se veulent aussi peintres de la modernité en peignant les gares enfumées, le chemin de fer ou les hautes cheminées d’usine.
Avec le Néo-impressionnisme, dont une expression accomplie sera le Pointillisme avec pour apôtres Seurat et Signac, les expérimentations picturales des impressionnistes débouchent sur l’exploitation systématique de la division de la couleur, se fondant sur des traités scientifiques. Leur technique consiste en l’application des tons en petits points colorés les plus purs, afin d’obtenir un mélange optique qui suggère la couleur désirée.
Prenant le nom de Nabis, qui signifie « prophètes » en hébreu, de jeunes artistes, autour de Paul Sérusier, se déclarent « prophètes de la nouvelle peinture ». Ils renoncent à la perspective et au modelé, utilisant de grands aplats de couleurs vives cernées de sombre. Marqués par Gauguin à l’époque de Pont-Aven et le japonisme, ils se tournent aussi vers les arts décoratifs mobilier, éventails, vases, lithographies, affiches.
Le Symbolisme est un mouvement européen qui touche les milieux littéraires (Verlaine, Mallarmé, Maeterlinck) et artistiques. Fortement teinté d’ésotérisme, il s’érige contre le positivisme Il substitue à l’observation du réel, une vision fondée sur le rêve et les pouvoirs de l’imagination.
Tout autre est le Fauvisme, ce « rugissement de la couleur pure ». C’est la simplification de la forme et de la perspective et l’utilisation de couleurs vives, à l’état pur. Ces peintres ne cherchent pas à donner une transcription fidèle du monde, ils expriment des sensations et des émotions que l’artiste éprouve au contact du quotidien.
Avec l’Expressionnisme, la vigueur de la touche, les rapports de couleurs insolites sont au service de l’intensité expressive et d’une conception pessimiste de la destinée humaine. L’homme y apparaît perdu, créature souffrante et dérisoire dans un monde sans espoir.
Enfin, à la veille de la mort d’Henri Zuber, viendra la plus grande mutation de l’histoire de la peinture. Issu des leçons de Cézanne et de la découverte de l’Art Nègre, le Cubisme apporte une autre représentation du monde, vu de façon géométrique. Les demoiselles d’Avignon (1907) de Picasso inaugurent un mouvement qui évoluera vers d’autres interprétations qui marqueront le début du XXe siècle.
De ces différents mouvements, Henri Zuber reste fort éloigné. Mais il ne s’est pas uniquement intéressé à la peinture des paysages. Comme les peintres du Réalisme notamment Millet, il trouve des sujets d’ inspirations dans l’activité du monde rural, moissons, labours, récoltes des pommes de terre et dans des scènes de villages.
LE NATURALISME OU L’ « ECOLE DE LA NATURE »
A partir de 1870 va se confirmer la diversification de la peinture de paysage dont l’éclatement a eu lieu sous le Second Empire, et tous les courants vont, de germe en fleur, devenir fruit. Aussi paradoxal que cela puisse paraître, la Guerre de 1870 et la Commune ne vont pas modifier fondamentalement la production de l’art. Ce qui était en suspens, reprend son cours avec les mêmes thèmes, les mêmes ressources et les mêmes succès.
Alors que l’impressionnisme ne sera reconnu que des années plus tard, l’Ecole de la Nature est toujours représentée par des artistes solides, qui se conforment à la permanence des goûts. Ils représentent une présence durable, une survivance qui n’en finit pas de se maintenir et de briller. On compte parmi ces vigoureux continuateurs, des peintres comme Henri Zuber, Eugène Boudin, Stanislas Lépine, Léon Germain, Léon Pelouse, Jules Eugène Lavieille, Léon Lhermite, Emile Michel, Edmond Yon, Camille Bernier.
Ne faisant ni la Une des journaux, ni scandale, ces peintres ne paraissent pas « nouveaux », et restent les plus prisés dans les grandes salles d’exposition du Palais des Champs Elysées ; le critique Lafenestre peut écrire que « la peinture de paysage reste valable comme art de fixer sur des toiles les émotions profondes et douces, qui communiquent à des âmes saines, l’inaltérable beauté de la campagne et la simplicité puissante des occupations rustiques ». Leur tort est d’avoir été longtemps négligés après leur mort, mais le goût du public semble changer de nos jours.
H. Zuber aura une correspondance suivie avec le groupe d’artistes qu’il retrouve fréquemment, lorsqu’il ne voyage pas, aux Vendredis de Bernier, réception mais aussi cénacle hebdomadaire où quelques poètes se joignent aux peintres déjà cités. Les lambris dorés de l’hôtel particulier du quai d’Orsay, aux murs couverts d’Isabey, Troyon, Rousseau, Corot, Daubigny, Harpignies sont le décor de leurs colloques amicaux
UN PEINTRE DE SON TEMPS… Henri ZUBER
Ce qui différenciera les peintres de la nature, successeurs de l’Ecole de Barbizon, des impressionnistes tient plus à la technique employée qu’aux sujets choisis. Si ces derniers peignent volontiers des scènes de plaisirs simples, des femmes pas forcément jolies, des lavandières au travail, des femmes à leur toilette ou des bourgeois qui s’encanaillent, les thèmes de la nature, les scènes de rue, les vertes campagnes et les sous bois ombragés, les bords de mer ensoleillés se retrouvent aussi bien chez Sisley, Pissarro ou Monet que chez Boudin, Zuber ou Eugène Lavieule. C’est en s’affranchissant des règles de la tradition picturale, que les peintres impressionnistes s’attireront des critiques d’une violence dont on n’a pas idée aujourd’hui. Ils sont de nos jours portés au pinacle, mais à l’époque, ce sont les peintres de la nature, dont Henri Zuber, que les critiques et le public apprécient. Ces quelques coupures de journaux de l’époque donnent le ton :
La rue Peletier a eu du malheur, après l’incendie de l’Opéra, voici un nouveau désastre qui s’abat sur le quartier. On vient d’ouvrir chez Durand-Ruel une exposition qu’on dit être de peinture. Le passant inoffensif attiré par les drapeaux qui décorent la façade, entre, et à ses yeux épouvantés s’offre un spectacle cruel. Cinq ou six aliénés s’y sont donné rendez-vous pour exposer leurs œuvres. Il y a des gens qui pouffent de rire, moi j’en ai le cœur serré. Ces soi-disant artistes qui s’intitulent les « intransigeants » ou les « impressionnistes » prennent des toiles, de la couleur et des brosses, jettent des tons au hasard et signent le tout.
Albert Wolf, Le Figaro du 3 avril 1876Salon de 1885
Comme je préfère, avec de la lumière vraie et limpide, cette ravissante étude de M. Zuber. Le Séran à Cerveyrieu est un morceau de gourmets. Quelle simplicité de pâte et quelle puissance d’effet ! H . Zuber est un grand paysagiste.
Journal de BordeauxSalon des Aquarellistes de 1887
Le victorieux par excellence de cette exposition est Henri Zuber. Nous suivons depuis longtemps et avec un vif intérêt la marche ascendante de ce fils d’Alsace qui honore la France par l’élévation de son talent.
Journal des ArtsLe Legs Caillebotte.
Le peintre Gustave Caillebotte mourut en 1894, léguant à l’Etat 65 tableaux de ses amis impressionnistes. Le cadeau provoqua presque une émeute parmi les officiels, politiciens et académiciens. Ainsi M. Gérôme, de l’institut, menaça de démissionner de l’Ecole des Beaux-Arts : Il y a là dedans de la peinture de M. Monet, n ‘est-ce pas ? De Pissarro et d ‘autres ? Pour que l’Etat ait accepté de pareilles ordures, il faut une bien grande flétrissure morale.
Ces maîtres du paysage n’auront pas de successeur à la hauteur de leur talent. Fromentin le constatait un jour en comparant la jeune école, chaque année plus nombreuse, aux maîtres qui leur avaient frayé la voie : » Le paysage fait tous les jours plus de prosélytes qu’il ne fait de progrès ». La lassitude évoquée par Zuber à la fin de sa vie, dans les lettres qu’il adresse à ses amis Emile Michel, Camille Bernier, Charles Clément, est sans doute liée à un état de santé fragile, mais aussi à la nostalgie d’une école de paysagistes sans disciples. Il écrit, en 1896, à E. Michel avec une certaine clairvoyance :
Il faut de plus en plus s’attendre à ce que le simple talent cède le pas aux moyens mécaniques de reproduction des spectacles extérieurs. Mais l’invention n’en prendra que plus de valeur et aucune société ne pourra se priver de ce qu ‘elle apporte à l’esprit.
Salon 1889
J’ai gardé pour la fin les pièces les plus belles, en particulier les très remarquables aquarelles de M. Zuber. Son assurance nous séduit.
Alfred de Loustalot dans la Gazette des beaux-Arts
Le jugement de Gauguin sur les impressionnistes :
Ils étudient la couleur exclusivement en tant qu’effet décoratif mais sans liberté, conservant les entraves de la vraisemblance… Ils cherchent autour de l’œil, et non au centre mystérieux de la pensée…