Nous avons mis nos pas dans ceux d’Henri Zuber durant les étés 1893, 1894 et 1895. La notoriété du peintre est à son apogée. Il expose régulièrement au Salon des oeuvres qui font l’objet de brillantes critiques, il expose également à Londres, en Belgique et au Salon des Aquarellistes Français. Il passe régulièrement les mois d’été en famille dans une région de France. Suivons-le à Mailly le Château où il peint chaque jour pendant trois mois. Nous ferons un détour avec quelques-uns de ses meilleurs amis avec lesquels il entretient une correspondance régulière, puis nous nous installerons aux endroits mêmes où il a peint l’église ancienne de Mailly, le vieux pont de Louis XI, les rochers du Saussois, la chapelle de Prégilbert, le long de la « voie neuve » qui relie le « bourg du haut » et le « bourg du bas. »
Nous savons que le peintre Henri Zuber affectionnait ces mois d’été ou il pouvait quitter Paris et s’installer pour peindre dans les lieux qu’il découvrait au hasard de ses voyages. Après plusieurs étés passés à Artemare (Voir La Lettre N09), il s’installe en juin 1893 à Mailly le Château, sur les bords de l’Yonne, non loin de Vézelay qu’il visitera. Il y restera jusqu’en septembre. Il loue une propriété appelée » le Manoir » qui est encore connue aujourd’hui sous ce nom. Cette maison située à deux pas de l’église appartenait à cette époque à la famille d’Hurdebise. Sa fille Anna décrit cette demeure comme une vieille maison avec terrasse surplombant toute la vallée de l’Yonne. En réalité, la célèbre terrasse, qui est publique, se trouve à quelques dizaines de mètres de la maison, on y découvre une vue admirable sur la falaise, véritable muraille au sommet de laquelle est construit cet ancien bourg fortifié. A son pied coule la rivière, tandis que quelques maisons du « Bourg du bas » se pressent au milieu d’une riche Végétation au loin se détachent les collines du Morvan. On comprend que le peintre ait été séduit d’emblée par ce décor magnifique. L’année suivante, Henri Zuber reviendra à Mailly, mais deux déceptions l’y attendent le Manoir a été loué au percepteur et surtout on a coupé les peupliers qui ombrageaient le canal du Nivernais, véritable bras séparé de l’Yonne. Le peintre, déçu, ne reste pas et retourne à Ferrette dans le chalet familial du sud de l’Alsace, où il passera tout l’été
Les amis d’Henri Zuber
Henri Zuber était un solitaire ; il effectuait ses voyages seul ou en famille, parfois avec des amis comme les peintres Émile Michel ou l’Alsacien Camille Bernier. Parmi ses intimes figurent le critique André Michel et le paysagiste Paul Lecomte. Comme nous l’avons vu dans le N0 5 de « La Lettre », Zuber assistera très souvent et sa vie durant, aux « vendredis » de Bernier où il retrouve Yon, Hanoteau, Guillaumet, Gosselin. A Mailly, en 1893, il voisine avec Paul Lecomte, de deux ans son aîné. Ce dernier, élève de Lambinet, peint au Pays Basque, en Île de France et en Normandie des toiles bien architecturées. Henri Zuber aurait bien aimé que son ami Émile Michel vienne à Mailly. Il lui écrit en 1893, lors de son premier séjour :
» Vous pourriez venir passer quelque temps avec nous. Je suis certain que vous ne regretteriez pas d’avoir fait connaissance avec ce pays qui est l’un des plus charmants que l’on puisse rêver et auquel je m’attacherais peut-être plus qu’il ne faudrait. Nous pourrions vous loger, je n’ai pas besoin d’insister sur le plaisir que vous nous feriez en venant…
Émile Michel est connu des amateurs pour ses grands paysages dépouillés, assez sombres, aux ciels mouvementés qu’il expose au Salon depuis 1853. En 1906, il écrivit un traité sur Les Maîtres du Paysage. Il était membre de l’Institut depuis 1892. Camille Bernier eut un parcours assez proche de celui d’Henri Zuber. Il s’inscrivit d’abord à l’École Centrale, puis après avoir voyagé en Italie et en Orient, il choisit la peinture et demanda des leçons a Léon Fleury, enseignement dont il saura se dégager pour marcher sur les traces de Théodore Rousseau. Cet Alsacien fût un véritable ami pour Zuber. Son aîné de près de 20 ans, Bernier figurera pour la première fois au Salon a trente deux ans en 1855. Un dessin précis, des couleurs fines et fraîches, une composition simple, Bernier garde la franchise et la pureté des autodidactes. Plusieurs fois médaillé au Salon, il reçut l’un des grands prix de l’Exposition Universelle de 1889, alors que Zuber recevait la grande médaille d’or à cette même exposition. Outre ces trois amis, deux critiques d’art auront des relations régulières avec Henri Zuber : André Michel et Charles Clément. Tous deux auront une grande admiration pour les œuvres de Zuber ; André Michel le place au second rang des paysagistes après Français, Ch. Clément le situe » au premier rang des paysagistes contemporains « . Ils suivront le peintre tout au long de sa carrière et l’on ne compte pas les articles extrêmement élogieux qu’ils ont écrits sur lui dans le Journal des Débats, Le Parlement, la Revue des Deux-Mondes, la Revue Alsacienne. A la mort d’Henri Zuber, c’est André Michel qui écrivit l’ultime hommage à l’annonce de sa consécration suprême : une exposition à l’Ecole des Beaux-Arts. « Ce que fut l’homme, écrivait-il, beaucoup pourraient le dire quoiqu’il se livrât difficilement et fût même plutôt distant, mais quiconque a pu s’approcher et 1’a vu vivre, ses confrères et collègues du jury, savent jusqu’à quel raffinement de probité il poussait l’accomplissement de sa tâche » Henri Zuber correspondait régulièrement avec son ami François Ehrmann. D’origine alsacienne comme lui, formé également à l’atelier de Gleyre, il a révélé des talents artistiques très différents. Les réalisations de F. Ehrmann, qui avait acquis le goût et la science de l’art décoratif à l’atelier d’architecture de Questel, sont celles d’un peintre officiel de décors d’édifices publics (Hôtel de Ville de Paris, Légion d’honneur) traitant des sujets allégoriques, mythologiques ou historiques. Il a conçu également des vitraux (cathédrale d’Autun, collégiale de Montmorency) et des cartons de tapisserie pour Aubusson.
(Sources : Le Dictionnaire des petits Maîtres de Schurr et Cabanne)
C’est à Mailly le Château que sa fille Anna découvre pour la première fois une automobile: » un monstre arrêté près des auberges, au pied des falaises « . (Journal d’Anna Zuber)
A PROPOS D’AUTOMOBILE
Le » monstre » qu’Anna Zuber voit stationner près de l’auberge du Bourg du Bas devait beaucoup ressembler à ce véhicule de Messieurs Panhard et Levassor, la doyenne des firmes automobiles. Cette voiture partageait, avec la jeune firme de MM les fils de Peugeot frères, le marché naissant des voitures mues par un moteur à gazoline, moins encombrant que les premiers véhicules à vapeur chauffés au coke. Ce véhicule atteignait la vitesse de 18 km/h et consommait 1 litre aux 10 km. (Nous présentons la voiture ayant reçu le 1er prix du concours de voitures à deux places, sans chevaux, organisé le ] 8 juillet 1894 par le Petit Journal.)
La production d’Henri Zuber à Mailly : les Salons.
Henri Zuber a beaucoup peint au cours des trois séjours qu’il a effectués à Mailly le Château.
Au Salon de 1895, il a présenté « Au bord de la Rivière Dans la vallée de l’Yonne » qui semble n’avoir pas retenu l’attention des critiques. Il est vrai qu’en même temps, il présentait » Le dormoir du pâturage de Winckel « qui a fait l’unanimité et a été salué par tous les journaux d’art (acquis par le Kunstmuseum de Bâle). En 1896, Henri Zuber présentait « Un soir au bord de l’Yonne « que nous reproduisons, et au sujet duquel Alfred de Lostalot écrivait: « J’ai un faible pour les paysages de Monsieur Zuber. Je connais peu d’artistes qui sachent donner ainsi toute la grandeur voulue aux sites qu’ils interprètent. Voyez « Un soir au bord de l’Yonne « , quelle intensité, quelle finesse dans la douce accentuation de la lumière. » (L’Illustration N0 2775, 2 mai 1896)
Dès 1895, H. Zuber présentait au Salon de la Société des Aquarellistes Français deux œuvres : Les Rochers de Mailly(N°235) et Le Pont de Mailly (N°238) et en 1896, l’Église de Prégilbert, (N°179), petit village à sept kilomètres de Mailly de Château, Crépuscule (N° 180) et Le vieux saule (N° 181).
Aquarelle et Gouache
(extrait d’un article de l’Indépendant Belge de février 1896)
L’aquarelle est un art difficile. La trop grande rapidité d’exécution, l’impatience de la touche, la conception superficielle peuvent se transformer en qualité lorsqu’il s’agit de fixer rapidement sur le papier une couleur à l’eau transparente, laissant toujours travailler le fond. Presque tous les exposants (Il s’agit de l’exposition des Aquarellistes Français de 1896 NDLR) méconnaissent le principe de l’aquarelle proprement dite et s’adonnent plus volontiers à la gouache. Ici, en effet, nous sommes pleinement dans la tradition française.
Tandis que les Anglais donnaient, dès la fin du siècle dernier, un caractère définitif de légèreté et de transparence à la couleur de l’eau, les Français s’en tenaient toujours à la peinture opaque. La gouache, du reste, se recommandait d’une lignée fameuse : les lettres historiées des missels, les miniatures sur fond d’or des manuscrits du XIIIe et XIVe siècles n’étaient pas autre chose que des gouaches. L’affection des artistes français pour ce procédé a persisté à travers les âges, Isabey, Heilbuth, Gustave Doré, Jules Jacquemart, tout en exécutant des compositions alertes et nerveuses, ne purent jamais s’affranchir de la technique ancienne et continuaient à peindre à l’eau, comme ils peignaient ä l’huile. Aujourd’hui, si l’on emploie plus de couleurs délayées dans la gomme et additionnées de miel, on s’obstine néanmoins à chercher la solidité d’aspect au moyen des superpositions épaisses.
Monsieur Zuber, au moins, nous montre des aquarelles dignes de ce nom. Sa peinture ne participe d’aucun mélange équivoque; elle est limpide et loyale. Que 1’artiste nous montre un paysage voilé d’ombres crépusculaires ou la jolie église de Mailly ensoleillée, au sortir de la messe, partout il obtient aisément, sans truquage, des atmosphères exactes et vivantes qui animent, dans une mesure parfaite, les moindres détails de la composition.
L’ÉGLISE SAINT ADRIEN
A l’époque où fût construite l’église Saint Adrien, au treizième siècle, le Bourg du haut était entouré d’une enceinte fortifiée. Érigée près de la porte principale, elle s’ouvrait sur une grande place bordée de maisons, comme on le voit encore aujourd’hui. Sur la façade sévère, le portail est surmonté d’arcs trilobés dans lesquels cinq statues représentent la Comtesse Mahaut, qui octroya la charte d’affranchissement de 1223, entourée de quatre manants aux têtes courbées sous le poids de leur servitude.
LE PONT DE MAILLY
La rivière qui coule paresseusement au pied des rochers, est franchie par un vieux pont du XVe s. avec une charmante chapelle axiale portant des niches ouvragées et dédiée à Saint Nicolas, patron des gens de rivières. C’est là que s’effectuait au Moyen Age, le péage. Sur un bras de la rivière, le Petit Moulin que le peintre a peint devint en 1910 une fabrique de ressorts, puis une scierie qui a brûlé en 1948, et a été remplacé par un bâtiment sans grâce.
Henri Zuber ne sortait pas sans son carnet de dessins. Il a laissé de nombreuses pochades prises sur le vif, comme ce saisissant reportage sur un incendie à Mailly. Le plus souvent, il peignait huiles et aquarelles, au calme, chez lui, en se basant sur les lumières, les coloris, les volumes saisis sur ses carnets.
En clôturant cette dixième parution de « La lettre, Henri Zuber et son temps » nous tenons à remercier tous ceux qui participent activement à sa rédaction ainsi que les propriétaires des œuvres présentées, sans lesquelles nous ne pourrions mettre en valeur les qualités de peintre de la nature d’Henri Zuber.(note de la rédaction.)