C’est vers la banlieue ouest, facilement accessible par la gare Montparnasse, qu’Henri Zuber dirige le plus souvent ses pas : Chaville, Meudon, Sèvres et Versailles où il fait quelques « excursions « . Mais ce n’est qu’à partir de 1897 qu’il découvre vraiment les splendeurs des jardins du château de Versailles où il retourne souvent et principalement en automne, de 1897 à 1901. Il y peint de nombreuses aquarelles et les grandes toiles qui seront exposées aux Salons en 1898, 1899 et 1900, ainsi : Le Passé, Versailles (Musée de Picardie d’Amiens) Les marches de marbre rose (Musée des Beaux-Arts de Bordeaux), Un soir à Versailles
(Musée de Rochefort) et Le bosquet du Point du Jour.
Les œuvres que nous présentons ici, sont un véritable témoignage de ce que pouvaient être les jardins de Versailles à la fin du 19e siècle. Ces grands arbres rougissant à l’automne, sous lesquels se promènent quelques rares visiteurs, n’existent plus aujourd’hui. L’ouragan de décembre 1999 a infligé au parc des blessures dévastatrices, en abattant en quelques heures près de 7500 arbres.
Le travail de replantation a été considérable, mais il faut du temps pour que les arbres poussent; sans doute est-ce ainsi que Louis XIV a connu le parc ?
Cette allée peinte depuis le Quinconce du Midi ( appelé maintenant Bosquet de la Girandole) est aujourd’hui profondément modifiée par la disparition des arbres, mais la rampe bordée de grands vases et de statues de personnages mythologiques existe toujours et conduit vers la façade majestueuse du château.
Peinte depuis la Terrasse du Midi, avec un des escaliers aux 100 marches et au fond, les hauteurs de Satory.
Dans ces années de fin de siècle, Henri ZUBER a 55 ans. Il est au faîte de sa renommée, couvert d’honneurs, décoré de la Légion d’Honneur, plusieurs fois médaillé d’or à l’occasion des expositions, proposé comme membre de l’Institut. Et pourtant, de santé fragile, il doute et » craint, de retour à l’atelier, d’être immédiatement ressaisi par le sentiment de l’absolue vanité de son travail. Il ne retrouve son enthousiasme que dans sa chère Alsace où il séjournera chaque année jusqu’à sa mort, dans le Midi et surtout à Venise durant l’hiver 1908 où il remplira deux carnets d’admirables pochades, vibrantes et colorées et peindra de nombreuses aquarelles.
Salon des Aquarellistes
Aux salons des aquarellistes de 1898 et 1899, Henri Zuber expose pas moins de 12 aquarelles concernant les jardins de versailles. le critique Hoffmann écrit en avril 1898 : » monsieur zuber nous a conté autrefois, en de délicieuses pages, le jardin du luxembourg toujours sur la brèche, le grand artiste garde toujours sa belle ardeur à peindre la vie de nos parcs et cette savante poésie des couleurs et des reliejs qui font le charme de ses oeuvres produisant chez nous tous une douce et profonde émotion. tout est bien compris dans les oeuvres de zuber et tout y est rendu avec la suprême dignité d’un talent consciencieux. »
Cette toile de grande dimension représente la terrasse bordant le Parterre du Midi, avec au fond les grands arbres du Bosquet des Rocailles. Cette huile, présentée au Salon des Artistes Français en 1899, eut un énorme succès; acquise par l’Etat pour la somme considérable de 2000 F et déposée au musée des Beaux-Arts de Bordeaux, elle fut présentée l’année suivante à l’Exposition Universelle. Le peintre a introduit, dans cette composition, quelques personnages en costume du grand siècle. Etait-ce un retour au paysage historique ? On pourrait d’autant plus le croire qu’à ce même Salon, Henri Zuber a exposé une autre toile Le bosquet du Point du Jour, qui elle aussi présente des personnages en costumes Louis XIV. Mais il semble qu’il ne s’agisse que d’une fantaisie qui n’eut pas de lendemain. Nous connaissons plusieurs versions de ces Marches de marbre rose, três proches les unes des autres. Sur l’huile que nous reproduisons, on distingue au fond de la terrasse trois ou quatre personnages assis : peut-être une nounou accompagnant des enfants. La masse sombre des arbres aux couleurs automnales se détache sur un ciel lumineux.
LES PEINTRES DE VERSAILLES.
Aux 17e et 18e siècles de très nombreux peintres se sont attachés à montrer Versailles, son parc et ses fastes. Ainsi des grands peintres officiels comme Etienne Allegrain ou Cotelle Jean 1’Ainé, dont on trouve de très nombreuses oeuvres au Musée National du Château et des Trianon, ou encore Jean Baptiste Martin, dit Martin des Batailles, et le Hollandais Adam Van der Meulen. Avec le temps, la représentation du parc se raréfie. Il est vrai qu’à partir de 1792 le château est quasiment abandonné un début de remise en état est effectué par Napoléon et Louis XVIII mais les détériorations se poursuivent et sa démolition est même envisagée, jusqu’à ce que Louis-Philippe le sauve définitivement.
Qu’en est-il au 19 siècle ?
François Marius Granet nommé conservateur du Musée en 1833 par Louis-Philippe, s’éprend du château et de son parc et y réalise de nombreuses aquarelles. On connaît aussi de Corot Le Grand Trianon, peint en 1866 et qui se trouve au Musée de Copenhague.
Il est curieux de constater que les impressionnistes n’ont montré aucun intérêt pour ces jardins trop bien ordonnés, pas plus que l’Ecole de Barbizon qui préférait peindre la nature telle qu’elle se présente ; même défigurée… à nos yeux, mais pas aux leurs. Henri Zuber lui-même ne s’y est intéressé que très tardivement, une dizaine d’années avant sa mort.
Parmi les contemporains d’Henri Zuber citons Eugène Lami qui participe avec lui à la fondation de la Société des Aquarellistes Français et fut élève d’Horace Vernet ; il peint plusieurs oeuvres importantes comme Les grandes eaux de Versailles qui se trouve au Musée de Versailles, Concert au Bosquet de la Colonnade et Les escaliers du parc de Versailles comportant de nombreux personnages.
C’est l’époque où les paysagistes anglais franchissent la Manche ; au Musée du Louvre se trouve une superbe huile de Richard Parkes Bonington représentant Le Parterre d’eau, peinte dans un style assez proche de celui de Zuber.
Paul Helleu, élève de Gérôme, peint des paysages lumineux et raffinés ; le Musée d’Orsay conserve la Fontaine du soir qui fait pendant à la Fontaine de Point du .Jour, peinte Par Zuber, et Automne à Versailles ; ces deux oeuvres datent de 1897, année où Zuber peint le Passé, mais on lui connaît plusieurs autres tableaux représentant le parc. Mentionnons aussi d’Henri-Michel Lévy, le Bassin de Cérès (1887) et Vue des jardins de Versailles (1891) ; de Boldini, ami de Degas, Le Bosquet des Dômes. Jacques Emile Blanche, dont le succès est surtout dû à ses portraits, a laissé deux Vue du Château de Versailles qui sont au Musée National du Musée de Versailles. Signalons aussi. au Musée de Versailles, Fontaines des saisons de François Martin, au Musée des Ursulines à Mâcon Un coin du jardin de Versailles d’Albert Pierson, et au Musée du Louvre Vue du Château prise de la pièce d’eau d’Auguste Anastasi élève de Delacroix et Corot.
(On peut se référer au livre « Les peintures de Versailles » de Catherine Gendre, conservateur du Musée Lambinet à Versailles.)
Sur cette aquarelle, le peintre représente la Fontaine du Point du Jour, dite aussi Cabinet des combats d’animaux. H. Zuber nous montre la statue L’eau qui fait pendant au Printemps que l’on ne voit pas sur cette aquarelle. Ces deux oeuvres de Philippe Magnier encadrent le bassin où deux chiens terrassent un ours et un cerf. Ce bel ensemble est dominé par de grands arbres qui n’existent plus aujourd’hui. On distingue au fond la statue célèbre « du point du jour » qui a donné son nom à ce bosquet et à la fontaine.
Cette charmante allée ombragée était située dans le bosquet autrefois appelé » le Quinconce du Midi « . Cette partie du parc a totalement disparu aujourd’hui.
Après 1901, le peintre ne retournera plus guère à Versailles et se contentera de présenter quelques aquarelles du parc, au Salon des Aquarellistes. Il y rencontrera d’ailleurs un grand succès en 1903 avec plusieurs vues du jardin de Versailles qui attirent ce commentaire d’un critique peu enthousiaste sur l’ensemble du Salon :
Les exceptions sont les huit aquarelles de Monsieur Zuber, depuis longtemps » primus inter omnes « . Ces vues de Versailles sont très fines et ombreuses, puissantes de coloris et toujours d’un effet grandiose.
L’aquarelle est un art difficile. La technique est complexe et délicate, elle nécessite une subtile combinaison des humidités relatives du pinceau et du papier. Les teintes doivent être posées prestement, sans retouche, du premier coup ; encore faut-il acquérir cette transparence et cette fraîcheur qui font les « bonnes » aquarelles.
A partir de 1880, Henri ZUBER perfectionne sa technique. En mai 1883, il passe un mois sur la Côte d’Azur : Cannes, Nice, Menton, Antibes. Les Anglais y sont nombreux, très férus de water painting et connaisseurs en la matière. Ils ne s’y trompent pas. Henri ZUBER expose à Londres chez MM. Goupil et Cie, avec un grand succès. Henri ZUBER expose aussi au « Salon » des oeuvres remarquées, confirmant ainsi sa place parmi les rares aquarellistes de l’Ecole Française, qui surgissent aujourd’hui du passé.
Au Salon de 1900, Henri Zuber présente une huile sur toile de dimension plus modeste que les années précédentes (40 x 60 cm), sans personnage : Un soir à Versailles. Elle sera la dernière œuvre du peintre à Versailles, présentée au Salon. On voit sur cette toile, la » nymphe aux coraux et aux perles », très belle statue de bronze de Philippe Magnier, qui se détache sur la façade du palais, dont les ombres se reflètent dans l’eau du parterre d’eau. Henri Zuber accompagna son oeuvre de ces vers d’Edmond Rostand
« L’heure a double visage où, tandis qu’elle monte et qu’il n’est pas tombé, on voit ensemble au ciel et Phoebus et Phoebé «
Cette aquarelle, peinte sur le Parterre du Nord, comporte plusieurs personnages et montre « Le vase des enfants chassants« , oeuvre de l’Académie de France à Rome. On distingue derrière le vase, la statue « le sanguin » et au fond, le Bassin de Neptune. Les superbes arbres qui entourent ce bassin ne sont plus qu’un souvenir.
Le critique d’art André Michel plaçait » Henri Zuber au second rang des paysagistes de l’époque, après Français « . Louis Français, naquit en 1814, trente ans avant Zuber. Sa notoriété, ses succès au Salon où il expose jusqu’en 1896 lui procurent maints honneurs, médailles, décorations et lui valent, suprême récompense, d’être élu membre de l’institut en 1890. Louis Français meurt en 1897 et les membres de l’Académie des Beaux-Arts proposent à Henri Zuber d’être candidat à cette élection. Le 20 juillet 1897, Henri Zuber répond à son ami Emile Michel chargé de lui apporter la nouvelle : » Vous me dites, à propos de la succession de Français à l’Institut, des douceurs auxquelles je suis, croyez-le bien, beaucoup plus que sensible… seulement, mon cher ami, je ne me fais pas beaucoup d’illusion et je sais qu’il ne me reste ni assez de forces, ni assez de santé pour avoir de hautes ambitions. Ces ambitions se bornent, et c ‘est la sagesse qui me les inspire, à faire de mon mieux et à ne pas viser un autre but. Je suis cependant un peu surpris de voir Busson arriver dans les premiers du classement de l’Académie (Il s’agit de Charles Busson, élève de Français et qui fréquentait Corot, Daubigny, Troyon et Dupré). Du moment que Bernier, conseillé sans doute par Bonnat, s’est abstenu, je serais pour ma part très heureux de voir couronner en Busson une carrière bien remplie, marquée par quelques oeuvres au moins de tout premier ordre. Quant à Harpignies, il se consolera entre la bouteille et le cotillon, mais pour le moment il ne doit pas être à prendre avec des pincettes ! » La santé du peintre n’est pas bonne, sa production s’est ralentie, il vend moins et souffre de la chaleur accablante de cet été 1897.
Au Salon de 1898, Henri Zuber présente deux huiles dont Le Passé, Versailles. Cette huile de grande taille représente le bassin nord du parterre d’eau, devant le palais, avec au premier plan » La Garonne « , statue en bronze d’Antoine Coysevox. Les derniers rayons du soleil couchant percent les arbres du Bosquet du Point du Jour. Henri Zuber avait illustré cette œuvre d’un vers d’André Chénier:
Tout a fui ! des grandeurs tu n ‘es plus le séjour…
Cette composition déclencha une avalanche de louanges dans les journaux d’art de l’époque, en France ainsi qu’en Angleterre. En voici quelques extraits:
Zuber nous envoie un coin de bassin à Versailles, avec la silhouette du parc sur un ciel de soir, qu’il intitule Le Passé. C’est d’une grande mélancolie, l’émotion ne le cède en rien au savoir, mais ce n’est qu’un souvenir de passant dans le passé… et Zuber fut pris par des souvenirs flottants dans l’air et auxquels les esprits rêveurs ne peuvent échapper. Nous n’hésitons pas à prédire à M. Zuber un grand succès au Salon. (Le Figaro, signé Benjamin Constant, 10 juin 1898)Le Passé, Versailles, by M. Zuber, is a noble work. TalI, leafless trees reflected in the water, a green bronze figure standing out forcibly against the pale sky. The work is admirably treated and full of atmosphere. (Daily Messenger, 30 avril 1898)
– M. Zuber est décidément un grand maître paysagiste et ses oeuvres sont toujours du sentiment le plus délicat et le plus subtil. Le Passé et La Côte d ‘Azur (autre oeuvre présentée au même Salon) sont deux tableaux inestimables.
Cette allée peinte depuis le Quinconce du Midi ( appelé maintenant Bosquet de la Girandole) est aujourd’hui profondément modifiée par la disparition des arbres, mais la rampe bordée de grands vases et de statues de personnages mythologiques existe toujours et conduit vers la façade majestueuse du château.
Peinte depuis la Terrasse du Midi, avec un des escaliers aux 100 marches et au fond, les hauteurs de Satory.
Dans ces années de fin de siècle, Henri ZUBER a 55 ans. Il est au faîte de sa renommée, couvert d’honneurs, décoré de la Légion d’Honneur, plusieurs fois médaillé d’or à l’occasion des expositions, proposé comme membre de l’Institut. Et pourtant, de santé fragile, il doute et » craint, de retour à l’atelier, d’être immédiatement ressaisi par le sentiment de l’absolue vanité de son travail. Il ne retrouve son enthousiasme que dans sa chère Alsace où il séjournera chaque année jusqu’à sa mort, dans le Midi et surtout à Venise durant l’hiver 1908 où il remplira deux carnets d’admirables pochades, vibrantes et colorées et peindra de nombreuses aquarelles.