Pour beaucoup d’amateurs, la peinture du XIXe siècle se résume à quelques grands mouvements : le romantisme du début du siècle, les peintres de l’Ecole de Barbizon, les impressionnistes.
Il aura fallu le prodigieux épanouissement de la peinture de plein air et le triomphe de l’impressionnisme, pour que l’on se penche sérieusement sur les sources et l’histoire des peintres de la nature.
C’est ainsi que l’on peut chercher à redécouvrir de nombreux artistes de grande valeur, plus ou moins reconnus, qui ont marqué de leur empreinte la fin de ce siècle.
Parmi eux Henri ZUBER, paysagiste de talent, brillant aquarelliste, que notre association s’attache à mieux faire connaître.
Dans ce premier numéro de « LA LETTRE », et dans les suivants, nous nous efforcerons de situer le peintre et son art dans l’environnement de son temps.
Denis Blech
Salon des Artistes Français – Critiques de l’époque
1883, Henri ZUBER est maintenant reconnu comme peintre de la nature, prolongeant l’esprit de l’Ecole de Barbizon. Il présente cette année au Salon des Artistes Français, deux grandes huiles Les premiers sillons (Musée du Louvre à Paris) et Le troupeau de Vieux Ferrette (Musée d’Art Moderne de Strasbourg).
JOURNAL DES DÉBATS | 22 MAI 1883, SIGNÉ CH. CLEMENT
Dans Le troupeau de Vieux Ferrette, M. ZUBER représente un berger debout au milieu de son troupeau de moutons qui broutent dans une grande plaine tâchée ça et là de touffes de bruyères roses. Le terrain s’enfonce à perte de vue au moyen d’une perspective aérienne très savamment observée, jusqu’à l’horizon. L’exécution très large et souple est d’une grande qualité et je ne vois que des éloges à donner à cet ouvrage. Il y avait là des difficultés d’exécution que l’habile artiste a résolues de façon extraordinaire…
LE RÉPUBLICAIN | 21 AOÛT 1883, SIGNÉ BERTHIER
Un véritable sentiment d’admiration saisit le spectateur devant cette toile magnifique. La nature a guidé le pinceau du maître et formé ce pâtre et ces moutons devant qui la critique reste muette. Une énergique simplicité préside à cette scène rustique pleine de charme, tous les tons s’harmonisent admirablement, c’est dans ce genre la toile la plus remarquable du Salon.
JOURNAL DES ARTISTES | 15 JUIN 1883, SIGNÉ BESNUS
Le Troupeau du Vieux Ferrette vous donne la sensation de la fraîcheur du matin et vous remet du baume dans l’âme. C’est là de la peinture saine, robuste, et dont la simplicité fait toute la grandeur.
La disparition de MANET
1883, ANNÉE DE LA MORT DE MANET, VOIT UN TOURNANT DÉCISIF DANS L’HISTOIRE DE L’IMPRESSIONNISME.
En Février 1883, Édouard MANET, atteint de tabès et qui se soigne depuis plusieurs années pour ce que l’on croit être du rhumatisme, peint « Les Lilas Blancs ». Ce fut la dernière toile qu’il acheva. Il doit s’aliter début avril, mais la gangrène progresse, la fièvre monte ; malgré une amputation de la jambe gauche, il meurt dans de terribles souffrances le 30 Avril 1883. Il avait 52 ans.
1883. Depuis un an, DURAND RUEL tente de reformer le groupe des impressionnistes dans sa galerie de la rue St Honoré, mais il se heurte à leur méfiance et leurs dissentiments. La rupture est totale à la mort de MANET ; la dispersion géographique (MONET à Giverny, PISSARRO à Éragny, SISLEY à St Mammès, CÉZANNE prés de Marseille, RENOIR en Provence), s’accompagne bientôt d’une désorientation esthétique. Selon la formule de Lionello Venturi : « Monet pencha vers un symbolisme de couleur et de lumière, Pissarro est attiré par le pointillisme, Renoir assimile des éléments académiques, Sisley trouve son apaisement dans la matière ».
Le néo-impressionnisme de SEURAT et SIGNAC n’est pas loin.
L’École académique, continuatrice des DAUBIGNY et DIAZ de la PENA décédés quelques années auparavant, est toujours représentée par des artistes qui suivent la permanence des goûts et mentalité, tels Henri ZUBER, Eugène LAVIEILLE, Eugène BOUDIN, même si ce dernier est déjà à mi-chemin de l’impressionnisme. D.B
Richesse et séduction de l’art d’HENRI ZUBER
LA PEINTURE DE L’ARTISTE TELLE QU’ELLE APPARAÎT AUX YEUX DE M. VICTOR BEYER, INSPECTEUR HONORAIRE DES MUSÉES DE FRANCE
En parlant d’Henri Zuber, on est amené à évoquer les noms de Corot, qui fut son ami, de Théodore Rousseau, dont les couchers de soleil sont bien proches de certaines annotations furtives de Zuber et, bien entendu, de Daubigny, peintre « sur le motif » du pont de son bateau-atelier, comme Zuber le fut de sa calèche place de la Concorde ou ailleurs dans Paris.
Chez l’artiste, la communion de l’homme et de la nature n’est pas celle, plus idéologique, d’un Millet, homme de retour à la nature et de défiance à l’égard de l’ère industrielle. Elle est d’un ordre plus subtil, plus simplement poétique, celle d’un homme, tout comme Henner, attaché par toutes ses fibres à son paysage naturel, mais aussi celle d’un marin, sensible, comme Eugène Boudin, aux grandes plaines liquides, aux ciels plus vastes encore, aux brumes, à cette qualité de la terre qui la fait participer du climat universel.
Il faut avoir conscience que cette participation là suscite un bonheur parfois douloureux, qui est celui des romantiques : « O temps, suspens ton vol ! ».
Les impressionnistes, eux, ont tenté de saisir l’instant dans la fièvre analytique et dans une appréhension toujours recommencée du paysage au charme « indicible ».
Du côté de l’Aquarelle
L’aquarelle est un art difficile. La technique est complexe et délicate, elle nécessite une subtile combinaison des humidités relatives du pinceau et du papier. Les teintes doivent être posées prestement, sans retouche, du premier coup ; encore faut-il acquérir cette transparence et cette fraîcheur qui font les « bonnes » aquarelles.
A partir de 1880, Henri ZUBER perfectionne sa technique. En mai 1883, il passe un mois sur la Côte d’Azur : Cannes, Nice, Menton, Antibes. Les Anglais y sont nombreux, très férus de water painting et connaisseurs en la matière. Ils ne s’y trompent pas. Henri ZUBER expose à Londres chez MM. Goupil et Cie, avec un grand succès. Henri ZUBER expose aussi au « Salon » des oeuvres remarquées, confirmant ainsi sa place parmi les rares aquarellistes de l’Ecole Française, qui surgissent aujourd’hui du passé.
PALL MALL GAZETTE | 10 JUILLET 1883
Exposition chez GOUPIL & Co, à Londres. A large collection of Water-colour drawings of a distinguished French, landscape painter is now on view at Goupil Galleries. His treatement of water-colour is much more English than French and he resembles some old purist of the school of David Cox. The collection is a very pleasing one, with those fine qualities of oil painting which have secured to M. Zuber
JOURNAL DES ARTS | 4 MAI 1883
Exposition au Salon des Artistes Français. M. ZUBER a, cette année, présenté deux aquarelles d’une charmante composition : de grands oliviers au feuillage argenté et grêle, s’élèvent avec délicatesse sur cet incomparable ciel de Provence ; l’atmosphère est transparente et laisse voir un fond à grande distance ».
ECHO DES VILLES D’EAUX | 1 JUILLET 1883 signé Lacroix
Exposition au Salon des Artistes Français. M. ZUBER, lequel, par parenthèse, a été omis au catalogue, assez mal fait et souvent inexact, du Salon 1883, est l’auteur de deux aquarelles extrêmement réussies et du meilleur style. Depuis les beaux paysages de Menton et de Monaco que nous a fait connaître le regretté Jules Jacquemart, nous n’avions rien vu d’aussi empreint de vérité et d’une touche aussi ferme, plus nette et plus fine. A la bonne heure voilà de l’Art.